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Journée d'études Histoire(s) du cinéma brésilien

Maison de l'Amérique Latine

Lundi 18 juin 2012 

 

217 Boulevard Saint Germain - 75007 Paris
Entrée libre 

 

Depuis le début du XXe siècle, le cinéma interroge le passé brésilien tout autant que le temps présent. De l’allégorie de la nation proposée par Humberto Mauro dans La découverte du Brésil en 1937 à la mémoire tragique de la dictature mise en scène par les réalisateurs contemporains, l’histoire occupe une place de premier plan dans le cinéma brésilien, qu’il soit documentaire ou de fiction. Indépendamment des époques et des styles considérés, l’utilisation d’images d’archives, l’interprétation d’épisodes et de personnages historiques, le recours aux allégories sont très fréquents dans les films brésiliens, qui portent à l’écran des stéréotypes et symboles nationaux pour les réaffirmer ou, au contraire, les détourner. 

Quel sens pouvons-nous accorder à ces représentations du passé ? Quels sont les périodes et les acteurs historiques privilégiés par les réalisateurs brésiliens et comment sont-ils travaillés sur le plan esthétique ? Surtout, comment ces images ont-elles évolué dans le temps et que nous disent-elles de la société brésilienne contemporaine ? Si le cinéma constitue une source pour écrire l’histoire contemporaine du Brésil, pouvons-nous également y voir un lieu de mémoire et d’affirmation de la brasilidade – comme le suggèrent par exemple, en leur radicalité critique, les films de Glauber Rocha ou d’Eduardo Coutinho ? Cette journée d’étude a pour but d’analyser le dialogue noué entre le récit cinématographique, l’histoire et la mémoire au Brésil, à partir d’une analyse des enjeux esthétiques et identitaires des films de fictions, des documentaires et des productions qui se situent à la frontière de ces deux genres. 

  

9h30 
Introduction

Carolina Amaral de Aguiar (Université de São Paulo) et Anaïs Fléchet (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines).

 

10h-12h 
L’histoire à l’écran : la mise en scène des identités brésiliennes

Marina Takami (Université Paris 8), Le regard de Benedito Junqueira Duarte et la construction cinématographique de São Paulo dans les années 1940 et 1950

Alberto da Silva (Université Rennes 2), Quand les femmes filment : histoire et genre dans le cinéma brésilien pendant le régime civil-militaire (1964-1985)

Reinaldo Cardenuto (Université de São Paulo), L’écriture de l’histoire dans le cinéma de Leon Hirszman : un communiste face aux contradictions du mouvement ouvrier (1979-1981)

Discutante : Caroline Moine (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) 

 

14h-16h 
Le cinéma engagé : un autre regard sur l’histoire ?

Ignacio del Valle (Université de Toulouse II – Le Mirail), Eldorado. L’allégorie d’une « nation continentale » dans le cinéma de Glauber Rocha

Mauricio Cardoso (Université de São Paulo), Glauber Rocha et les films de l’exil : tensions et enchantements

Gabriella Trujillo (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Du cinéma sans histoire : les films de la Belair

Carolina Amaral de Aguiar (Université de São Paulo), Utopie et barbarie (2009) : histoire et mémoire de la gauche révolutionnaire dans le cinéma de Sílvio Tendler

Discutant : Antoine de Baecque (Université Paris Ouest Nanterre La Défense)

 

16h30-17h30 
Projection du film Estereo Ensaios (2011, 3D, 15:38’)

 

Débat avec Jane de Almeida (Universidade Mackenzie, réalisatrice) et Cicero Inacio da Silva (Universidade Federal de Juiz de Fora, producteur) animé par Sílvia Capanema P. de Almeida (Université Paris 13). 

 

Résumés 

 

Marina Takami (Université Paris 8)
Le regard de Benedito Junqueira Duarte et la construction cinématographique de São Paulo dans les années 1940 et 1950

Benedito Junqueira Duarte (1910-1995) fut photographe, cinéaste et critique. Formé à la photographie dans le Paris des années 1920, il fut le portraitiste des hommes politiques, intellectuels et artistes liés au mouvement moderniste de São Paulo, avant d’entrer au Diário Nacional et de devenir le responsable du service iconographique du tout nouveau Département de la Culture de la ville, à l’invitation de Mário de Andrade. Duarte demeura près de trente ans à ce poste, durant lesquels il photographia les transformations urbaines de la métropole, organisa les archives photographiques et produisit des films institutionnels. En 1936, il participa en tant que photographe au lancement du magazine S. Paulo de Cassiano Ricardo, une publication à caractère expérimental fortement inspirée du magazine URSS en construction, qui avait pour but de relayer la propagande du gouverneur Armando de Salles Oliveira. Cette communication propose d’analyser les films réalisés par Duarte, dont Parques infantis da cidade de São Paulo (Jardins d’enfants de la ville de São Paulo – 1954), A métropole de Anchieta (La métropole d’Anchieta – 1952) et Rectificação do Tietê (Réaménagement du fleuve Tietê – 1940), en lien avec les photographies publiées dans S. Paulo et les archives de négatifs de la ville. Ces différentes productions entretiennent de nombreuses relations esthétiques et thématiques. Ainsi, Duarte utilisa dans ses films des photographies de São Paulo prises au XIXe siècle par Militão Augusto de Azevedo, dont il adopta le système de vues comparées de la ville pour les archives du Département de la Culture. Certaines de ses photographies furent également publiées dans S. Paulo. Inversement, Duarte réalisa des petits films de vues sur la ville pour préparer la documentation photographique du Département de la culture. À travers ces différentes réalisations, nous analyserons la participation de Duarte à la construction d’une identité régionale pauliste fortement marquée par la figure du bandeirismo en mettant en lumière les différents répertoires professionnels et l’esthétique individuelle dont il fut porteur.

 

Alberto da Silva (Université Rennes 2)

Quand les femmes filment : histoire et genre dans le cinéma brésilien pendant le régime civil-militaire (1964-1985)

Au tournant des années 1970, la société brésilienne vit les plus dures années d’une dictature civile-militaire qui s’était imposée en 1964. Si, durant la décennie précédente, les réalisateurs brésiliens nourrissaient encore l’espoir de changer la société à travers un cinéma engagé, le coup d’État et le durcissement de la censure les poussent vers un cinéma allégorique, baroque et « désenchanté ». Par ailleurs, si les femmes, durant les années 1960, sont absentes en tant que réalisatrices dans le panorama cinématographique brésilien, elles réalisent, dès le début des années 1970, plusieurs films mettant en évidence les questions relatives à la subjectivité et au corps féminins, mais aussi questionnant la famille et l’autoritarisme patriarcaux. Dans cette communication, nous proposons d’analyser trois films réalisés pendant cette période. Tout d’abord, Os homens que eu tive (Les hommes que j’ai eus - 1973), réalisé par Teresa Trautman et interdit pendant plusieurs années. Dans Mar de Rosas (Mer de Roses - 1977), ensuite, Ana Carolina élabore une allégorie poignante des relations complexes de pouvoir dans la famille patriarcale à travers une mise en scène surréaliste et carnavalesque. Enfin, Patriamada (1985) de Tizuka Yamasaki évoque la campagne des « Diretas já » (« Des élections directes maintenant ») et la période de la transition, tout en soulevant des problématiques relatives aux rapports sociaux de genre qui émergent parallèlement à l’ouverture politique. Outre les enjeux politiques et sociaux de la période étudiée, ces trois films offrent un éclairage sur le processus de transformation des représentations identitaires dans un moment charnière de l’histoire brésilienne - des changements qui passent notamment par un travail sur le plan esthétique.

 

Reinaldo Cardenuto (Université de São Paulo)

L’écriture de l’histoire dans le cinéma de Leon Hirszman : un communiste face aux contradictions du mouvement ouvrier (1979-1981)

De 1979 à 1981, face à l’émergence d’un nouveau mouvement ouvrier de masse capable d’amplifier la résistance à la dictature, Leon Hirszman réalisa deux films d’analyse politique du temps présent. ABC da greve (L’ABC de la grève – 1979/1990), consacré aux grèves des métallurgistes de 1979, fut réalisé par un artiste engagé dans la redémocratisation du pays, porteur d’une lecture idéaliste sur l’histoire en mouvement. De l’adhésion à la stratégie communiste du « front commun » jusqu'à l’opposition aux militaires, le documentaire ignore les fissures présentes dans la gauche brésilienne et projette une unité qui ne fut jamais vérifiée. Dans Eles não usam black-tie (Ils ne portent pas de cravates – 1981), adapté de la pièce de théâtre éponyme de Gianfrancesco Guarnieri de 1956, Hirszman relativise ce discours en proposant une rencontre entre le réalisme critique et une esthétique télévisuelle. En reprenant le conflit entre un père, leader ouvrier, et son fils, briseur de grève, le cinéaste assume les failles de la gauche et prend position pour le Parti Communiste Brésilien (PCB) contre le syndicalisme de Lula et du Parti des Travailleurs (PT), créé en 1980 en opposition à la tradition marxiste. L’objectif de cette communication est d’analyser les constructions esthétiques et les représentations politiques présentes dans ces deux films, en insistant sur les contradictions de la scène politique brésilienne de l’époque, afin de mettre à jour les questions posées par Hirszman, cinéaste communiste, à son temps historique.

 

Ignacio del Valle (Université de Toulouse II – Le Mirail)

Eldorado. L’allégorie d’une « nation continentale » dans le cinéma de Glauber Rocha

Dans le manifeste Esthétique de la faim (1965), Glauber Rocha lance un appel pour que le Brésil, en général, et le Cinéma Novo, en particulier, soient pleinement intégrés aux projets révolutionnaires latino-américains des années 1960 et soient conçus selon la logique opposant les nations dépendantes – le « Tiers Monde » – aux métropoles occidentales. Dans cette communication, nous analyserons comment Rocha crée un pays allégorique, appelé Eldorado, pour représenter l’histoire politique du Brésil et de l’Amérique latine, en mettant en relief les liens qui unissent le pays au sous-continent et en négligeant les différences. Nous étudierons l’un des personnages principaux de cette « nation continentale », Díaz, archétype du leader conservateur et dictatorial latino-américain. Díaz et Eldorado sont présents dans les films Terre en transe (1967) et Têtes coupées (1970), ainsi que dans América nuestra, un projet cinématographique jamais réalisé. Cependant, il ne s’agit pas de représentations immuables: l’évolution des postulats esthétiques de l’auteur et de son intérêt pour la Révolution cubaine et la Conférence tricontinentale déclenchent des transformations de ces allégories latino-américaines, ouvrant la voie à une réflexion dynamique sur le cinéma, les imaginaires sociaux et les usages de l’histoire.

 

Mauricio Cardoso (Université de São Paulo)

Glauber Rocha et les films de l’exil : tensions et enchantements

Cette communication a pour but d’analyser la réception du cinéma brésilien en France entre 1959 et 1972 soit au moment où le Cinema Novo proposa une expérience internationale fondée sur une esthétique originale et une perspective politique qui prétendaient mettre à l’ordre du jour le cinéma brésilien moderne. Au centre de ce processus, Glauber Rocha joua un rôle catalyseur et produisit un ensemble de tensions, activant des représentations contradictoires du Brésil fondées sur une analyse personnelle de l’histoire du pays et de ses caractéristiques. Nous analyserons ces représentations à partir des films réalisés par Glauber Rocha pendant son exil, notamment Cabezas cortadas (Têtes coupées – 1969/1970) et Der Leone have sept cabeças (Le Lion à  sept têtes – 1970). 

 

Gabriela Trujillo (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

Du cinéma sans histoire : les films de la Belair

« Curieusement, les statuts de la Belair n’ont jamais été déposés. Cela fut une maison de production imaginaire, mais avec une marque historique. En proposant de démolir le discours académique et conventionnel, elle mena une action très bénéfique et produisit des films beaux, bons et pas chers. Malheureusement, le système s’est retourné contre ce type d’opération […]. La Belair […] était extrêmement audacieuse, malgré la situation politique du pays. Filmer c’était déjà résister, prendre une caméra, c’était faire un geste héroïque » - Rogério Sganzerla. La Belair, maison de production créée à Rio de Janeiro en 1970 par Rogerio Sganzerla, Julio Bressane et Helena Ignez avant leur exil européen, ouvre une nouvelle voie dans l’approche de l’histoire brésilienne. L’absurde, le non-sens, le kitsch et le grotesque inhérents aux films produits en cette période tissent une trame de motifs qui nous permettent de revoir l’historicité des images, leur force corrosive, leur valeur encore sous-estimée.

 

Carolina Amaral de Aguiar (Université de São Paulo)

Utopie et barbarie (2009). Histoire et mémoire de la gauche révolutionnaire dans le cinéma de Sílvio Tendler

Dans Utopia e barbárie (Utopie et barbarie - 2009), Silvio Tendler évoque les événements historiques de la période comprise entre mai 68 et le début des années 2000. Le film utilise des stratégies caractéristiques du genre documentaire – entretiens et images d’archives notamment – pour dresser le portrait d’une génération qui « voulait changer le monde ». Mêlant une narration historique en voix over à la parole des témoins, Tendler analyse les mouvements politiques qui ont marqué l’année 1968, qui fut selon lui la « plus orgasmique du siècle », et défend une forme « d’utopie ». Dans plusieurs séquences, la voix over adopte la première personne, tandis que le réalisateur apparaît sur des photographies d’archives. Cette communication a pour but d’analyser les ambiguïtés du traitement historique et de la mémoire revendiquée par Silvio Tendler dans ce documentaire, inspiré en droite ligne du film de Chris Marker Le fond de l’air est rouge (1977). On s’intéressera notamment à la manière dont la « gauche » est remplacée par « une génération jeune et rêveuse », ainsi qu’à l’effacement des débats politiques de l’époque derrière la bannière de l’utopie et au regard porté sur la dictature militaire brésilienne. 

 

Estereo Ensaios (2011, 3D, 15:38’)

Un film de Jane de Almeida produit  par Cicero Inacio da Silva.

Stéréoessais est un essai audiovisuel qui explore des images en ultra-haute-définition et interroge le statut du 3D : nouveau langage ou simple artefact ? Comme dans Vues de la Baie de Guanabara, réalisé en 1898 et considéré comme le premier film brésilien, Rio de Janeiro se trouve à nouveau au centre des caméras, mais les vues de la ville sont désormais captées en technologie 3D et ultra-haute-définition. Les clichés brésiliens sont exposés comme dans un vivarium mis en évidence par la stéréoscopie, une technique qui révolutionne notre appréhension des images. Alors que nous ne possédions qu’un seul ciné-œil, l’image stéréoscopique permet une perception du monde visible qui nous entoure à travers un « stéréopsis ».  En d’autres termes, il s’agit d’un changement de la camera de cinéma cyclops (l’œil unique) vers une caméra duelle (la vue stéréoscopique). Comment pouvons-nous contempler ce nouveau monde d’images en mouvement capturées mécaniquement et électroniquement par une perspective binoculaire ? Ou plus simplement et plus directement, comment pouvons-nous approcher et comprendre un film en trois dimensions, en termes de narration ? Qu’est-ce que nos yeux, saturés par plus de 110 années d’images en mouvement, peuvent capter et attendre de ces images revisitées par la stéréoscopie ? Réalisé par une équipe de chercheurs menée par l’historienne du cinéma Jane de Almeida, Stéréoessais est un film en 3D qui utilise les nouvelles possibilités visuelles afin de mettre en relation les pré-cinémas et les post-cinémas à partir des clichés brésiliens de la ville de Rio.

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